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Comment débloquer plus rapidement des fonds pour les pays en crise ?

L’assurance peut être une arme contre les catastrophes naturelles, ainsi qu’une forme d’aide indirecte efficace aux pays en développement, mais les règlementations freinent son usage

Fin septembre et début octobre de l’année passée, l’ouragan Matthew frappait les Caraïbes. Les vents qui atteignaient 240 km/h ont tué des centaines de personnes et causé de vastes dommages, ravageant de larges pans de cette zone. Il s’agissait alors de la pire tempête qu’elle ait connue depuis une décennie.

Comme toujours dans de telles situations, les appels à l’aide n’ont pas tardé. Toutefois, une grande partie des pays les plus durement touchés bénéficiaient d’un régime d’assurance qui a procédé à des paiements au cours des semaines suivantes, au lieu des mois parfois nécessaires pour que des fonds soient débloqués.

À la mi-octobre 2016, la Caribbean Catastrophe Risk Insurance avait versé 23 millions de dollars à Haïti, l’un des pays les plus sévèrement affectés par l’ouragan. La compagnie a également réalisé des paiements à la Barbade, à Sainte-Lucie, ainsi qu’à Saint-Vincent et les Grenadines.

Le régime d’assurance caribéen n’est pas unique en son genre. À l’échelle mondiale, les initiatives similaires se multiplient, qu’il s’agisse d’assurances pour faire face à l’éclosion de pandémies ou aux coûts de sécheresses et d’inondations. Les assurances contre les catastrophes naturelles ne constituent pas une nouveauté. Cependant, l’utilisation d’assurances comme forme d’aide financière aux pays en développement s’accentue.

322 millions de dollars
Il s’agit de la valeur d’un cautionnement par assurance vendu récemment par la Banque mondiale. L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a coûté 1 milliard de livres sterling. Toutefois, le Département du Développement international du Royaume-Uni estime que le montant aurait pu ne pas dépasser les 5 millions de dollars, si l’aide financière était arrivée dès le début de l’éclosion de la pandémie. Plus de 11 000 personnes ont péri à cause d'elle.

Les partisans du recours aux assurances pour répondre aux catastrophes naturelles considèrent que cette pratique pourrait sauver des millions de vies dans les pays les plus pauvres de la planète. Des financements plus rapides à débloquer permettraient de disposer de fonds lorsque le pire se produit.

En 2015, le G7 a promis de fournir d’ici 2020 une assurance contre les risques climatiques à 400 millions des personnes parmi les plus vulnérables. L’Allemagne, le Japon et le Royaume-Uni mènent le projet pour mettre en œuvre cet engagement.

''Nous nous trouvons à l’aube d’une évolution vraiment passionnante'', a déclaré Lord Bates, le ministre du Développement international du Royaume-Uni, lors d’une conférence sur le sujet, le mois dernier à Londres. Jo Scheuer, directeur de la réduction des risques liés aux changements climatiques et aux catastrophes aux Nations Unies, a récemment indiqué que ces assurances ''changent la donne''.

Contracter des assurances constituerait un moyen de mieux armer les États africains pour gérer les changements climatiques, affirme Mohamed Béavogui, directeur général de l’African Risk Capacity (ARC), une assurance créée par l’Union africaine pour aider les pays à financer la réponse aux catastrophes. Sans cela,''lorsque la réponse à une crise arrive, l’essentiel des dégâts est déjà provoqué''.

Le secteur des assurances a rassemblé de nombreux cadres, aux côtés de l’ONU et de la Banque mondiale, dans un groupe appelé Forum sur le développement de l’assurance (IFD), qui vise à étendre l’utilisation des techniques d’assurance et de gestion des risques pour ''renforcer la résilience et la protection'' dans le monde en développement.

6,7 millions
Il s’agit du nombre de personnes touchées par la sécheresse au Malawi, pays qui avait souscrit une police d’assurance de 5 millions de dollars auprès de l’African Risk Capacity (ARC). Finalement, le pays a touché 8 millions de dollars, bien qu’Action Aid estime les dommages à plusieurs fois cette somme. L’ARC a déboursé 34 millions de dollars au cours des trois dernières années pour lutter contre la sécheresse.

''Pour la première fois, de membres de direction de sociétés et des courtiers d’assurances se sont regroupés autour d’une table pour travailler ensemble. Je n’avais jamais vu autant de gros bonnets du secteur collaborer'', a déclaré Stephen Catlin, président de l’IFD, à la conférence de Londres.

Michael Bennett, responsable des produits dérivés à la Banque mondiale, indique qu’entre 2007 et 2017 l’institution a transféré 1,5 milliard de dollars de risques et qu’elle comptabilise déjà 1 milliard de dollars de transactions au cours des deux derniers mois. Il ajoute que l’élan est actuellement fort.

De telles initiatives offrent un fort potentiel. Selon Swiss Re, les catastrophes naturelles ont causé à l’échelle mondiale 166 milliards de dollars de pertes financières en 2016 alors que seulement 46 milliards de dollars ont été pris en charge par des assurances. Le solde, en particulier dans les pays en développement, est laissé à l’aide humanitaire.

''Le dispositif humanitaire actuel fonctionne vraiment mal'', déclare Owen Barder, vice-président du Centre for Global Development, un groupe de réflexion. Il considère que nous sommes en présence de deux problèmes essentiels : l’arrivée tardive de l’aide financière et son imprévisibilité. En effet, les États ne demandent de l’aide que lorsque les problèmes deviennent évidents et celle-ci peut tarder plusieurs mois. Entre temps, la situation est susceptible de s’aggraver et de nécessiter des montants bien plus élevés. De plus, ces gouvernements ne disposent pas d’informations relatives à la somme qu’ils recevront, ce qui les empêche de planifier correctement les dépenses.

Stefan Dercon, économiste en chef au Département du développement international britannique (DfID) et professeur de politique économique à Oxford, indique que le plus souvent les sommes reçues n’atteignent pas la moitié du montant demandé.

400 millions
Il s’agit du nombre de personnes qui nécessiteront, selon le G7, une couverture d’assurance contre les catastrophes d’ici 2020 pour faire face aux effets du changement climatique.

De l’avis de ses partisans, ‘l’assurance paramétrique' apporterait la solution aux deux problèmes cités précédemment. En effet, une telle police d’assurance n’attend pas la preuve tangible d’une perte ; elle offre des indemnités dès le premier signe de problème, tel que le passage d’une tempête ou les premiers stades d’une sécheresse.

Les titulaires des polices (dans ce cas les gouvernements des pays concernés)  connaissent en amont les montants qu’ils vont obtenir et les délais de paiement et sont ainsi en mesure d’engager des fonds dans les zones les plus affectées.

''Si l’argent est débloqué immédiatement, les habitants ont la possibilité de rester sur place. Dans le cas contraire, ils quittent leurs terres et vendent leurs biens en urgence. Une situation compliquée tourne ainsi au désastre'' précise M. Barder. Le professeur Dercon ajoute : ''Des paiements plus rapides ont un réel impact, par exemple pour les catastrophes à déclenchement lent, comme les sécheresses''.

1 milliard de dollars
Il s’agit du volume des transactions de risques de catastrophes de la Banque mondiale au cours des deux derniers mois (juin et juillet 2017, ndt). Au cours de la dernière décennie, le transfert de risques a atteint 1,5 milliard de dollars. Le nouveau Centre for Global Disaster Protection, qui se construit à Londres en collaboration avec la Banque mondiale, pourrait fournir 2 milliards de dollars pour aider à couvrir les catastrophes.

Un nouveau cautionnement par assurance en cas de pandémie de 322 millions de dollars effectué par la Banque mondiale indique comment cela devrait fonctionner. Les gouvernements devraient recevoir de l’argent au début d’une épidémie, lorsqu’il est encore temps de la contenir. Selon le DfID, 5 millions de dollars auraient été nécessaires pour contenir l’épidémie d’Ebola de 2014 lorsqu’elle a été détectée en Guinée. Huit mois plus tard, le coût était passé à 1 milliard de dollars et la pandémie avait décimé plus de 11 000 personnes.

Le Kenya a mis en place un système d’assurance pour aider les agriculteurs à faire face aux changements climatiques. Le gouvernement verse des primes pour un maximum de cinq vaches dans les régions arides du nord et du nord-est du pays. En période de sécheresse, les paiements sont destinés à fournir de la nourriture et subvenir à d’autres besoins afin de garder les animaux en vie, et non pour compenser l’éventuelle mort de têtes de bétail.

''Il s’agit d’un mécanisme de prévention plutôt que de réparation, explique Richard Kyuma, qui dirige le Kenya Livestock Insurance Program. C’est une idée nouvelle et les futures études permettront encore de l’améliorer.''

Malgré le potentiel de ces solutions, certains ne sont pas convaincus que les assurances représentent la réponse aux catastrophes dans les pays en développement. ''Le secteur des assurances et les donateurs montrent un grand enthousiasme, explique Debbie Hillier, conseillère principale en politique humanitaire d’Oxfam. La rhétorique a massivement dépassé la réalité. Ils considèrent que l’assurance réglerait tous les problèmes, mais c’est clairement faux.''

Selon les détracteurs de ce mécanisme, l’une des difficultés réside dans le risque de base : l’absence de prise en charge par l’assurance lorsque la nature spécifique d’une catastrophe ne répond pas aux conditions formulées dans la police.

La récente sécheresse au Malawi illustre ce cas de figure. Selon un rapport de l’ONG Action Aid, le pays a déboursé 5 millions de dollars pour une police d’assurance auprès de l’African Risk Capacity, qui devait couvrir une telle catastrophe. Cependant l’ONG indique qu’après la sècheresse de l’année dernière, 6,7 millions de personnes nécessitaient de l’aide mais les indemnités n’ont pas été versées. Cela s’explique en grande partie parce que le type de graines de maïs utilisé par les agriculteurs ne correspondait pas à celui prévu par la police, de sorte que les dommages causés s’avéraient plus importants que ceux prédits par le modèle de l’assureur. Après avoir ajusté son modèle, l’ARC a accepté de débourser 8 millions de dollars, mais Action Aid indique que le coût total de la gestion de la sécheresse s’élevait de 395 millions de dollars.

Dans son rapport, Action Aid affirme que ''Le G7, la Banque mondiale, le Forum sur le développement de l’assurance, l’ARC et les autres promoteurs de l’expansion du marché de l’assurance contre les risques climatiques devraient s’arrêter et reconsidérer le développement de cette solution face à un manque de preuves de son équité et de son efficacité et aux indications qu’elle pourrait exacerber les inégalités et la vulnérabilité''.

L’ARC rétorque que certaines des revendications de l’ONG s’avèrent incorrectes et ses recommandations peu judicieuses. Thomas Kwesi Quartey, diplomate ghanéen et vice-président de la commission de l’Union africaine, a déclaré que l’ARC avait versé 34 millions de dollars au cours des trois dernières années aux pays touchés par la sécheresse, y compris au Sénégal, au Niger et à la Mauritanie. ''C’est la mise en œuvre de la solidarité combinée à l’innovation'', déclare-t-il.

Rowan Douglas, président du groupe de mise en œuvre du Forum sur le développement de l’assurance, affirme que l’expérience au Malawi démontre qu’un risque de base existera toujours avec ce type d’assurance.

''Si ces instruments fonctionnent efficacement, disons dans 90% des cas, la question est de savoir si ne pas en disposer et perdre tous les avantages de cette importante innovation est préférable ?'', s’interroge M. Douglas. Il indique que dans de nombreuses situations les programmes tels que l’ARC ont bien fonctionné, comme après repassage de l’ouragan Matthew à Haïti.

Résoudre ce problème requiert une meilleure modélisation. En Europe et aux États-Unis, les risques sont largement modélisés, en partie parce que ces parties du globe bénéficient d’un secteur des assurances bien développé. Parfois, les assureurs connaissent à quelques mètres près les risques d’inondation pour une propriété spécifique.

Seulement, il n’en va pas de même dans les régions en développement. ''Actuellement, seulement la moitié de la population mondiale est couverte par les modèles de risques d’assurance, explique M. Douglas, alors que l’expertise existe depuis trois décennies''.

Les experts estiment que les changements climatiques, qui pourraient rendre les conditions météorologiques moins prévisibles, aggravent le problème de la modélisation. Mais, même en disposant de modèles plus précis et avec un risque de base réduit, il y a encore des obstacles à une utilisation plus large des assurances pour répondre aux catastrophes naturelles, notamment la question du paiement de la prime de police. Dans certains des régimes actuels, les gouvernements donateurs s’en acquittent. Dans d’autres, elles sont réglées par les pays bénéficiaires.

Selon M. Barder, les réticences à payer tant de la part des donateurs que des récipiendaires sont concevables. ''Les politiciens ont des horizons de courte durée. Vous pourriez payer une prime pendant votre mandat et ne pas recevoir de paiement. Pourquoi dépenseriez-vous alors vos ressources limitées pour une police d’assurance ?''

De même, certains pays donateurs s’acquittent difficilement de leur paiement. ''Il est très rare que les pays donateurs paient la prime… Les réticences sont réelles'', indique-t-il, en partie parce que certains donateurs préfèrent attendre le lendemain d’une catastrophe pour décider de la somme qu’ils souhaitent allouer. De plus, il avance l’existence d’une certaine méfiance envers le secteur privé.

Enfin, certaines ONG considèrent que se concentrer sur les assurances détourne l’attention de travaux plus importants pour construire une capacité de résistance aux catastrophes naturelles.

''Le débat sur l’assurance a évincé tout le reste. Il y a une place pour l’assurance, mais elle reste réduite, déclare Mme Hillier. Cette réflexion évince les questions de réduction des risques liés aux catastrophes et de protection sociale, qui connaissent toutes deux des lacunes massives''.

Richard Ewbank, conseiller en climat mondial chez Christian Aid, déclare que  ''disposer d’un système plus efficace pour débloquer des fonds est important, mais nous devons nous concentrer sur l’action et l’alerte précoces pour réduire les coûts à un niveau plus facile à gérer’’.

Même les partisans de l’idée font valoir que le chemin à parcourir reste long. ''Nous vivons au XXIe siècle quand il s’agit de prêter au monde en développement, mais seulement au XIIe siècle en matière de risques, explique le professeur Dercon. Nous testons des possibilités. Si certaines ne fonctionnent pas correctement, nous en tirerons les leçons.''

Londres : une aide pour les États qui évaluent les risques de catastrophes naturelles

''Perplexité mutuelle'' : voilà l’expression entendue par Rowan Douglas du Forum sur le développement des assurances pour décrire les relations entre le secteur des assurances d’une part et les pays en développement, les gouvernements donateurs et les ONG d’autre part. Le président du groupe de mise en œuvre du forum constate que jusqu’à récemment ils n’ont pas parlé la même langue, mais que cela change.

Le Royaume-Uni a annoncé en juillet une tentative de supprimer les barrières en créant le London Centre for Global Disaster Protection, conjointement avec la Banque mondiale, afin d’aider les pays en développement à planifier la réponse aux catastrophes et à évaluer le cas échéant l’assurance nécessaire. Le gouvernement affirme que l’assurance mise en place par le centre, et financée à hauteur de 30 millions de livres sterling par le Royaume-Uni, pourrait fournir 2 milliards de livres sterling pour faire face aux catastrophes.

Le professeur Stefan Dercon, économiste en chef au ministère britannique pour le développement international, déclare : ''Le centre vise à aider les gouvernements à concevoir des systèmes pour affronter les catastrophes, en les accompagnant pour comprendre leurs responsabilités, où peuvent être utilisés les assurances et le financement des risques, ainsi que la marche à suivre lorsque des catastrophes se produisent.''

Nigel Brook, associé du cabinet d’avocats Clyde & Co, qui travaille sur des projets d’assurances dans le monde en développement, affirme que le centre londonien devra marcher sur des œufs. ''Il a été conçu pour se positionner de manière neutre et il est crucial qu’il ne devienne pas un défenseur du secteur. Il ne peut pas se transformer en un courtier d’assurance encensé. L’équilibre à trouver est délicat.''

Owen Barder, vice-président du Centre for Global Development, affirme que le centre possède un rôle à jouer afin de garantir que les pays en développement ne déboursent pas des sommes trop élevées pour leur assurance.

''Je suis convaincu, mais pas certain que le marché présente la compétitivité suffisante et que les transactions ne donnent pas lieu à des profits excessifs. Nous devons rester vigilants, car les conditions pour une recherche de profit pourraient être réunies, déclare-t-il. Le London Centre pourrait et devrait représenter une source de réassurance à ce sujet.’'