Retour

La génération Macron secoue le monde français des affaires

Une jeune génération de dirigeants s’installe aussi aux commandes des grandes entreprises françaises avec les mêmes ambitions décomplexée

Surnommé le “Macron du business”, Alexandre Bompard a pris cet été les rênes du groupe Carrefour en tant que président. Il s’agit du deuxième groupe de grande distribution au monde en termes de revenus. Cet homme de 44 ans, décrit comme “jeune, intelligent et à qui tout réussit”, fait partie de la demi-douzaine de dirigeants qui se sont auto-proclamés les réformateurs du monde des entreprises françaises.

Ils cherchent à balayer la culture poussiéreuse des précédentes décennies et à faire subir au monde de l’entreprise français ce qu'Emmanuel Macron menace de faire à la politique : secouer l’ordre établi et reconstruire la France pour le 21ème siècle.

“La France fut pendant tant d’années si rigide et bureaucratique”, dit Frank Bournois, directeur de l’école de commerce ESCP Europe. “L’élection de Macron aux côtés de ce groupe de chefs d’entreprises est très prometteuse. Nous avons maintenant une nouvelle génération de gens qui sont ambitieux, énergiques et prêts à prendre des risques, ce qui pourrait pousser la France et l’Europe à innover et réformer”.

Cette relève générationnelle de la garde au sein du CAC40 a insufflé une énergie nouvelle depuis l’élection de M. Macron. Le jeune politique et ancien banquier chez Rothschild est arrivé au pouvoir grâce à un programme pro-entreprises, et a gagné une majorité décisive aux législatives avec son mouvement start-up, 'La République en marche'. Il a promis de reformer un marché du travail français complètement sclérosé, de réduire les dépenses publiques de 60 milliards d’euros et de sabrer dans les taxes des entreprises en les réduisant de 33 à 25 %.

Bien que peu populaires, ces mesures ont contribué à renforcer le sentiment que l'économie et la politique sont sur le chemin du renouveau en France, alors que la confiance en l’Europe renait, après le choc du Brexit et la peur des nouveaux populismes l’année dernière. La croissance trimestrielle dans la zone euro a connu son rythme le plus soutenu depuis 2015 lors des trois premiers mois de l’année 2017. Les 19 membres de la zone euro ont enregistré une croissance positive selon Eurostat.

Les positions pro-européennes de M. Macron ont trouvé un soutien chez les dirigeants d’entreprises qui se bousculent pour remporter des marchés au Royaume-Uni quand celui-ci sera sorti du bloc européen. Ils cherchent à renforcer l’alliance franco-allemande afin qu’elle joue un rôle moteur dans la redéfinition de l’Europe.

Parmi les nouveaux chefs d’entreprise du CAC40 se trouve Arthur Sadoun, 44 ans, qui a remplacé le mois dernier Maurice Lévy en tant que président de Publicis, le 3ème groupe de publicité du monde. Il a suivi Thomas Buberl, 44 ans, qui a succédé à Henri de Castries chez l’assureur Axa en septembre. En 2016, Isabelle Kocher, 50 ans, est devenue présidente de Engie, remplaçant Gérard Mestrallet. Un autre membre du groupe est Emmanuel Faber, 53 ans, le président de Danone depuis 2014.

Comme M. Macron, ces chefs d’entreprise sont plus jeunes, plus à l’aise avec le numérique et impatients d’atteindre les sommets plus vite que leurs prédécesseurs. “Dans le passé, on avait pour habitude  de planifier les successions en promouvant des gens de plus de 55 ans”, dit M. Lévy, 75 ans, qui siège au conseil consultatif de Publicis. “Aujourd’hui, on fait avancer les personnes en sautant directement une génération”.

Ils croient que leur âge est une vertu. “Notre génération à eu la chance d’avoir connu les deux mondes”, dit M. Bompard. “Nous ne sommes pas des 'natifs du numérique', mais nous en avons été des pionniers'.

Le président Macron a fait de la promotion de la technologie française une partie importante de son programme. Pour les entreprises, l’adaptation au numérique, qui peut dynamiser leurs activités, n’est pas une moindre priorité non plus.

M. Sadoun travaille dans un secteur en lutte contre la domination de Facebook et Google dans la publicité numérique alors que ses clients cherchent à se défaire des intermédiaires, les agences. Chez Carrefour, le principal défi pour M. Bompard sera d’embrasser le e-commerce, qui représentait 1 % des ventes du groupe en 2016, et qui commence à concurrencer ses hypermarchés. “Bien que nous venions tous de secteurs très différents, nous avons tous le même sentiment d’urgence”, dit M. Sadoun. “Les changements dans les cinq prochaines années seront plus importants  que ceux que nos prédécesseurs ont connu dans les 30 dernières années”.

***

Bien que M. Macron soit jeune et dynamique, il lui reste un long chemin à parcourir pour être à la hauteur de sa rhétorique et réellement réformer la France. Il fait face à l’opposition de l’armée, des enseignants et des administrations locales, touchées par les réductions proposées des dépenses. La même chose pourrait être dite des chefs d’entreprise, qui pourraient se retrouver face à la même résistance bureaucratique et à l’inertie qui ont entravé les précédentes tentatives de réformes.

“Les attentes de la France sont élevées en ce moment”, dit Ezra Suleiman, professeur d’études internationales à l’université de Princeton. ”Cependant, il est trop tôt pour émettre un jugement définitif sur M. Macron et cette nouvelle génération de chefs d’entreprise doit encore faire ses preuves. Le fait qu’il soient jeunes et neufs ne les rend pas automatiquement brillants”.

La promesse de changement de M. Macron suit une période de désillusions liée au statut quo en France. “Les défis sont très similaires pour les politiques et les entreprises”, dit M. Buber de chez Axa. Les électeurs et les clients “veulent être pris au sérieux, ils veulent qu’on les écoute et ils veulent plus de simplicité”.

Pour y parvenir, beaucoup de ces chefs d’entreprise défendent des modèles d’organisation plus horizontaux qui ne s’embarrassent plus des hiérarchies traditionnelles. “L’ancienne méthode était d’avoir une hiérarchie très lourde, d’attendre que les directeurs prennent les décisions et d’avoir trop de respect pour l’autorité” dit Nicolas Houzé, 42 ans, qui a succédé à son père Philippe comme président de l’entreprise familiale Les Galeries Lafayette en 2013. “Nous devons être plus agile et promouvoir un esprit entrepreneurial”.

Peut-être le plus important : les membres de ce nouveau groupe de chefs d’entreprise ont gravi les échelons de leur entreprise plutôt que d’être parachutés à leur tête depuis le monde politique. “Pour  les générations précédentes, les dirigeants était nommés pour raisons politiques”, explique Patricia Barbizet, vice-présidente d’Artemis, la holding de la famille Pinault. ”Cette nouvelle génération a grandi à l’intérieur de ces entreprises. Ils sont très tournés vers l'international, ils ont fait beaucoup de choses différentes et ont dû faire leurs preuves. Ils sont extrêmement connectés au reste du monde”.

À la différence de leurs prédécesseurs, ils parlent anglais, comme M. Macron qui est un des rares hommes politiques français à parler cette langue couramment. Leurs réseaux sont plus informels et personnels. “Contrairement à leurs aînés, ils sont moins impliqués dans les réseaux et les sociétés secrètes comme la franc-maçonnerie” nous dit un haut dirigeant de la banque d’investissement. “C’est plus sain”.

Beaucoup sont des proches de leur contemporain M. Macron, notamment M. Bompard, qui le précéda  de quelques années seulement à l’ENA, la couveuse de l’élite politique française. Mme Kocher le connaît depuis l’époque où il était conseiller économique du cabinet de François Hollande et dit qu’ils s’entendent bien.

Indépendamment de leur relation avec M. Macron, ils n’auront que peu de tolérance pour les ingérences de l’Etat. M. Macron, pour sa part, a annoncé pendant sa campagne électorale qu’il pourrait se débarrasser de certaines participations de l’Etat. “Bien sûr, notre génération a une vue différente, plus libérale, des investissements de l’Etat dans des entreprises”, dit Mme Kocher. “C’est par la régulation que l’Etat devrait façonner l’économie, et non pas en interférant avec les dirigeants des entreprises en cas de conflit ou de problème”.

La régulation de l'environnement est parmi les plus pressantes, les entreprises étant sous pression pour améliorer leurs performances et démontrer plus de responsabilité sociale. “Les défis sont complètement différents pour cette nouvelle génération”, ajoute Mme Kocher. “Le changement climatique, les migrations et les inégalités de richesses sont les grandes problématiques de notre ère”. Chez Engie,  détenue à 30 % par l’Etat, elle mène la transition des énergies conventionnelles vers les énergies renouvelables.

Cela coïncide avec le programme de M. Macron, qui a fait de l’environnement une part importante de son identité politique. Son ministre de l’Environnement est un ancien militant vert qui veut arrêter la vente de voitures à essence et diesel d’ici à 2040.

***

Bien qu'ils soient habituellement prédéterminés, ces passages de relais générationnels ajoutent quand même au sentiment général de changement. Vincent Bolloré dont l’entreprise familiale est l’actionnaire majoritaire de Vivendi, intronise son fils Yannick pour lui succéder en tant que directeur de la branche médias. En 2015, Alexandre Ricard est devenu le président de Pernod Ricard, le distilleur fondé par son grand-père, alors qu’en février Jacques Saadé a annoncé son départ à la retraite et nommé son fils Rodolphe Saadé au poste de président du groupe familial de fret, CMA CGM Group.

“Il y a un besoin évident chez les dirigeants d'entreprises de donner un sens à leur vie, qui aille plus loin que générer des bénéfices”, dit le plus jeune des Ricard, à 45 ans.

La vieille garde ne s’en est pas toujours allée sans combattre.  Eliminer l’héritier présomptif pour essayer de se cramponner au pouvoir est en quelque sorte une tradition française. Maurice Lévy chez Publicis, Jean-Louis Beffa quand il était en charge du groupe Saint-Gobain et Carlos Ghosn chez Renault ont tous écrasé de potentiels successeurs à un moment ou un autre. Et même lorsque qu’ils se retirent effectivement, ils ne lâchent pas toujours prise.

Les relations entre Mme Kocher et son prédécesseur M.Mestrallet, maintenant président du conseil d’administration, sont de plus en plus tendues, selon des personnes bien introduites dans l’entreprise. Ils ont des visions différentes de la direction que le groupe devrait prendre. En vendant des centrales thermiques, du pétrole et des gisements de gaz pour réinvestir dans des sources d’énergies renouvelables et des services d’efficience énergétique, Mme Kocher a effectivement défait une partie de l’héritage laissé par M. Mestrallet. Le groupe Engie n’a pas souhaité commenter ces tensions.

Les dirigeants de la nouvelle vague du business francais ont identifié de grands thèmes, qui sont la transition numérique, le développement durable et le management entrepreneurial. Mais ils sont tous confrontés au défi de piloter un groupe multinational vers le nouveau monde.

“C’est une grande opportunité”, dit M. Buberl d’Axa. “Un changement au sommet ne crée pas de changement dans tout le groupe. Le renouveau doit prendre place à tous les niveaux. Il n’est pas suffisant de comprendre ce que l’on doit faire, il faut maintenant agir”.

Alexandre Bompard, 44 ans - Carrefour

Diplômé de l’ENA puis inspecteur des finances, M. Bompard aurait été destiné il y a 20 ans à une carrière au gouvernement. Au lieu de quoi il s’est rapidement dirigé vers le secteur privé en prenant des postes de premier plan chez Canal Plus, Europe 1 et la FNAC avant de se faire débaucher par Carrefour.

Thomas Buberl, 44 ans - Axa

Ancien consultant en management, M. Buberl dirigeait le groupe d’assurances dans son Allemagne natale avant d’être choisi comme  président du groupe en 2016. C'est l’un des rares dirigeants étrangers à être en charge d’une des plus grandes entreprises françaises.

Arthur Sadoun, 46 ans - Publicis

Le premier emploi de M. Sadoun était de vendre des vêtements en Bolivie. Mais après un MBA à l’ Insead, il fut happé par la publicité et en quatre ans se hissa à la tête de l’agence parisienne de TBWA Worldwide. Lors de sa première décennie chez Publicis, qui a débutée en 2006, il a géré quatre divisions avant d’être nommé président du groupe cette année.

Isabelle Kocher, 50 ans - Engie

Mme Kocher est la seule femme à gérer une des grandes entreprises françaises. Depuis qu’elle a pris la direction d’Engie l’année dernière, elle a commencé à remodeler le fournisseur d'énergie, se concentrant sur les énergies renouvelables et les services énergétiques, malgré des oppositions internes. Avant de prendre ce poste, elle était directrice financière et a passé sa carrière à gravir les échelons du groupe.